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Article mis en ligne le 18 septembre 2024

Nouvelle acquisition / Trois lettres d'Honoré de Balzac à Jean Margonne

 

Le musée Balzac – château de Saché vient d’acquérir trois lettres adressées par Honoré de Balzac à Jean Margonne, grâce au soutien financier de la DRAC Centre-Val de Loire : une acquisition exceptionnelle attendue de longue date par le musée qui ne conservait jusqu'alors aucune correspondance entre le romancier et le propriétaire du Domaine de Saché.

 

Parmi les lettres échangées entre Honoré de Balzac et Jean Margonne, onze lettres sont aujourd’hui référencées dans la correspondance générale de Balzac annotée par Roger Pierrot et Hervé Yon [1] :

  • Quatre lettres de Jean Margonne à Honoré de Balzac, toutes conservées à l’Institut de France (collection Spoelberch de Lovenjoul). Elles sont datées de 1831, 1832, 1833 et 1841.
  • Sept lettres d’Honoré de Balzac à Jean Margonne, conservées dans des collections privées (une lettre de 1845, une lettre du 9 juin 1847 et une lettre de 1848), à la Bibliothèque municipale de Tours (lettre de juillet 1847), et désormais au musée Balzac (deux lettres de 1846 et une lettre du 15 juin 1847).

 

La localisation des trois lettres nouvellement acquises par le musée Balzac était inconnue jusqu’au début de l’année 2024 où un collectionneur privé les a mises en vente. Ces manuscrits des années 1840 sont très intéressants car ils permettent de documenter les relations amicales entre le propriétaire de Saché et le romancier, au moment de ses derniers séjours en Touraine. Ils nous renseignent en même temps sur les œuvres que Balzac est en train d’écrire (Les Paysans), les nouveaux moyens de transport qu’il utilise pour venir en Touraine à partir de 1846, avec l’ouverture d’une ligne de chemin de fer entre Paris et Tours, et enfin, son souhait d’acquérir une demeure en Touraine en 1846, le château de Moncontour.

 

Exposées dans le cabinet des manuscrits, au deuxième étage du musée Balzac, du 30 septembre 2024 au 5 janvier 2025, ces lettres seront par la suite présentées ponctuellement, en alternance avec d’autres manuscrits du musée, pour préserver leur conservation.

 

[1] Correspondance de Balzac, éd. R. Pierrot et H. Yon, coll. "Bibliothèque de la Pléiade", I, II, et III : t. I (1809-1835, 2006); t. II (1836-1841, 2011); t. III (1842-1850, 2017).

 

 

Honoré de BALZAC
Lettre à Jean Margonne
[Passy, fin août 1846].
Collection Musée Balzac, Saché, BZ 2024.4.1

 

Honoré de Balzac avait prié Monsieur Margonne de lui envoyer son acte de naissance, pièce nécessaire en vue de son mariage avec Madame Hanska. Il avait reçu ce document le 13 août, accompagné d’une lettre de Jean Margonne non retrouvée. Le projet de voyage à Saché que Balzac envisage ici n’a pas été réalisé.

 

Monsieur et ami, j’ai été bien heureux de l’exactitude que vous avez mise en vous chargeant de cette commission fastidieuse, et je vous en remercie infiniment. À mon retour, j’irai probablement passer une journée à Saché, et je m’acquitterai de ma petite dette envers vous, cornet en main.
Si j’ai tardé à vous remercier, c’est que j’ai eu le choléra sporadique, et nous avons été très rudement secoués. Ceci a retardé mon voyage mai le 1er 7bre je serai en Allemagne. D’après ce que vous me dites il faut renoncer à vivre sur les bords de la Loire, du moment où les propriétés y sont si chères ; mais j’userai de votre gracieuse hospitalité : Saché nous verra ! Soyez assez bon pour remercier Trélan de ma part, et trouvez ici l’expression de mon respectueux attachement.

Honoré de Bz

Si Mlle Alix a des soieries d’antan ou inoccupées dites-lui de préparer son métier et présentez lui mes hommages.

 

 

 

Honoré de BALZAC
Lettre à Jean Margonne
[Passy, 30 mai 1846].
Collection Musée Balzac, Saché, BZ 2024.4.2

 

Honoré de Balzac entreprend un voyage en Touraine début juin 1846 en vue d’y acheter une maison de campagne à Vouvray. C’est à l’occasion de ce séjour qu’il envisage d’acheter le château de Moncontour sur les conseils de Jean Margonne. Mais ce projet n’aboutira pas, car le château est trop cher, et finalement l’écrivain achètera l’hôtel Beaujon rue Fortunée à Paris.

 

Passy, 30 mai
Monsieur et ami, je crois que j’irai chercher votre lettre de l’année dernière à la poste de Tours mardi ou mercredi prochain, c’est-à-dire le 2 ou 3 juin ; si vous êtes à Saché, vous seriez bien aimable d’avoir affaire à Tours le mercredi ; car j’arriverai par le 1er départ de Paris de ce jour (ce sera le 3) nous retournerions ensemble à Saché, je n’aurai pas de paquets.
Il n’y a que les chemins de fer et les bateaux à vapeur qui permettent de partir de Rome pour être à Saché en si peu de temps.
Si vous n’êtes pas à la campagne, on me le dira à l’hôtel d’Angleterre. Espérons que ne n’aurai pas le guignon de l’an passé, qui m’a fait prendre en grippe vos biens du Perche. Je n’ai qu’un jour ou deux à donner à Saché ; mais il s’agit cette fois de devenir voisins.
Si je dois avoir le plaisir de vous voir, permettez-moi de ne vous rien dire de plus, en vous envoyant mille affectueux sentimens de respect. Honoré
Passy dimanche

 

 

 

Honoré de BALZAC
Lettre à Jean Margonne
[Paris, 15 juin 1847].
Collection Musée Balzac, Saché, BZ 2024.4.3

 

Honoré de Balzac, malgré ses intentions ne viendra pas à Saché en 1847. Il doit terminer l’écriture de son nouveau roman Les Paysans qui doit paraître dans le journal La Presse.

 

Monsieur et ami,
Il m’est impossible d’aller respirer l’air de la vallée de l’Indre avant d’avoir terminé Les Paysans à la Presse, où l’on me menace d’un procès, si je ne les finissais pas, je n’ai plus que ces derniers quinze jours de juin pour mon travail et je n’en puis distraire les quatre jours que je voulais donner à mon plaisir.
Ce sera sans doute en août que j’irai vous faire mes adieux, en attendant je vous envoye l’expression de ma respectueuse amitié. Honoré de Bz
Mardi 15.

 

 

Jean-François-Alexandre MARGONNE

 

Jean Margonne voit le jour en 1780 à Nogent-le-Rotrou, dans l’Eure-et-Loir. Il grandit dans une famille de négociants en étamines (étoffe de laine légère). En épousant en 1803 sa cousine germaine, Anne Savary, il hérite du château de Saché et d’autres manoirs qui appartenaient à leur grand-mère, Perrine Poulet. De 1816 à 1823, Jacques Briau-Bodin assure la régie du Domaine de Saché. Il témoigne dans ses mémoires du caractère de son employeur :

 

Depuis six ans que je tenais la Régie de Saché je n’avais pas encore reçu de compliments ni de reproches de mon propriétaire. À la vérité Mr Margonne n’avait pas pour habitude de flatter son monde, quand il était mécontent il ne se gênait pas de le dire, ce qui me donnait à penser qu’il était content de moi. Mr Margonne un des plus riches propriétaires en biens et en argent du département était d’un intérêt vil, il ne faisait pas gagner les malheureux et ne donnait jamais rien aux pauvres. Je l’ai vu blâmer ma femme, de ce qu’elle donnait à ceux qui venaient à la porte. Il disait qu’elle allait être cause que les mendiants allaient venir en grand nombre pour l’assaillir dans son château. Du reste c’était un homme juste, remplissant ses engagements avec exactitude, par la même raison il voulait qu’on en fit de même à son égard, il n’était pas communicatif, parlant peu, fin observateur, il cherchait toujours à deviner la pensée des autres et il ne communiquait jamais la sienne. Il était d’une taille plus qu’ordinaire, d’une belle figure, c’était un des plus beaux hommes du département, il était très aimable près des dames aussi la chronique scandaleuse ne manquait pas d’en jaser.

 

Il fut en effet l’amant de la mère de Balzac, et le père d’Henry, le petit dernier de la famille Balzac (1807-1858) : Honoré l’affirme dans sa correspondance et Jean Margonne le confirme en léguant à Henry 200 000 francs dans son testament. D’après le romancier, il était également le père de Marie-Alix Salleyx, la filleule de Madame Margonne, qui vit avec le propriétaire de Saché après la mort de son épouse en 1842. Jean Margonne meurt à Paris dans sa demeure de la rue de Penthièvre en 1858.