Un concert de Chopin à Tours en 1833
En 1831, tandis que Balzac connaît son premier grand succès avec son roman La Peau de chagrin, Chopin, 21 ans, s’installe à Paris, qui est alors une véritable capitale des arts et où convergent de nombreux artistes venus de toute l’Europe. En février 1832, Chopin réalise son premier concert public chez Pleyel. Un an plus tard, il est à Tours pour un concert donné le mardi 3 septembre 1833 dans les salons de l’hôtel de ville de Tours [1]. Balzac n’est pas en Touraine à cette période, et rien dans sa correspondance n’évoque alors un intérêt pour le jeune pianiste.
Le génie de Chopin vu par Balzac
Balzac rencontre Chopin par l’intermédiaire de son amie George Sand, à la fin des années 1830. Il évoque le pianiste dans une lettre adressée à Mme Hanska, en 1841 :
Je reviens de chez George Sand […]. Elle demeure rue Pigalle, 16, au fond du jardin, au-dessus des remises et écuries d’une maison qui est sur la rue, elle a une salle à manger où les meubles sont en bois de chêne sculpté. Son petit salon est couleur café au lait et le salon où elle reçoit est plein de vases chinois superbes, plein de fleurs. Il y a toujours une jardinière pleine de fleurs, le meuble est vert, il y a un dressoir plein de curiosités, des tableaux de Delacroix, son portrait par Calamatta […]. Le piano est magnifique et droit, carré, en palissandre. D’ailleurs Chopin y est toujours. Elle ne fume que des CIGARETTES et pas autre chose. Elle ne se lève qu’à 4 heures, à 4 heures Chopin a fini de donner ses leçons. [2]
Chopin s’est rarement produit en public. Liszt fait le récit du mémorable concert donné chez Pleyel le 26 avril 1841, dans la Revue et Gazette musicale :
Lundi dernier, à huit heures du soir, les salons de M. Pleyel étaient splendidement éclairés […]. Un grand piano à queue était ouvert sur une estrade ; on se pressait autour ; on ambitionnait les places les plus voisines ; à l’avance on prêtait l’oreille, on se recueillait, on se disait qu’il ne fallait pas perdre un accord, une note, une intention, une pensée de celui qui allait venir s’asseoir là. Et l’on avait raison d’être ainsi avide, attentif, religieusement ému, car celui que l’on attendait, que l’on voulait voir, entendre, admirer, applaudir, ce n’était pas seulement un virtuose habile, un pianiste expert dans l’art de faire des notes ; ce n’était pas seulement un artiste de grand renom, c’était tout cela et plus que tout cela, c’était Chopin. [3]
Mais Balzac est absent de Paris à cette période [4], et sa correspondance ne témoigne d'aucun concert auquel il aurait pu assister. Pourtant, l’écrivain exprime régulièrement sa vive admiration pour Chopin, et le cite en exemple dans le roman Ursule Mirouët :
Il existe en toute musique, outre la pensée du compositeur, l’âme de l’exécutant, qui, par un privilège acquis seulement à cet art, peut donner du sens et de la poésie à des phrases sans grande valeur. Chopin prouve aujourd’hui pour l’ingrat piano la vérité de ce fait déjà démontré par Paganini pour le violon. Ce beau génie est moins un musicien qu’une âme qui se rend sensible et qui se communiquerait par toute espèce de musique, même par de simples accords.
Christelle Bréion
Médiatrice au musée Balzac
[1] Jean JUDE, « Aspects de la vie musicale tourangelle dans la première moitié du XIXe siècle », in Mémoires, tome XXII, Académie des Sciences, arts, et belles-lettres de Touraine, 2009, pp. 13-32.
[2] Honoré de Balzac, Lettre à Mme Hanska, Passy, 15 mars 1841.
[3] F. Liszt, « Concert de Chopin », Revue et gazette musicale de Paris, Paris, Dimanche 2 mai 1841.
[4] Balzac part pour un voyage de quinze jours en Bretagne et en Touraine fin avril / début mai 1841.
Photographie d'en-tête : détail d'un manuscrit autographe de Frédéric Chopin (Valse en la mineur). Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France.