Hector Berlioz (1803-1869), compositeur, chef d’orchestre, est également critique musical auprès de la Gazette musicale de Paris dès 1834. Balzac et Berlioz se rencontrent en 1832 dans les salons parisiens et deviennent amis. Ils sont tous les deux présents au Conservatoire de Paris le soir de la première audition de la Symphonie en ut mineur de Beethoven, le 20 avril 1834.
"Roméo et Juliette" et "Les amours de deux bêtes"
Balzac, devenu un habitué du Conservatoire, assiste le 24 novembre 1839 à la première audition de Roméo et Juliette de Berlioz. Ce dernier le relate, non sans fierté, dans une lettre à son père : « Balzac me disait ce matin : C’était un cerveau que votre salle de concert », en référence à la présence de « toutes les notabilités intelligentes de Paris » [1].
Balzac rend hommage à Berlioz en évoquant le scherzo de la reine Mab dans "Les amours de deux bêtes", l’une de ses Scènes de la vie privée et publique des animaux illustrées par JJ Grandville.
À ce signal, il s’éleva dans le silence de cette nuit parfumée une musique absolument semblable au scherzo de la reine Mab, dans la symphonie de Roméo et Juliette, où le grand Berlioz a reculé les bornes de l’art du facteur d’instruments, pour trouver les effets de la Cigale, du Grillon, des Mouches, et rendre la voix sublime de la nature, à midi, dans les hautes herbes d’une prairie où murmure un ruisseau sur du sable argenté.
Le 13 décembre 1840, Balzac est présent au concert de Berlioz où il entend la Symphonie fantastique, Roméo et Juliette et le Chant sur la mort de l’Empereur Napoléon :
Mon cher Berlioz, la Napoléonopée m’a empêché de vous témoigner jusqu’ici ma profonde admiration pour la Symphonie fantastique que j’ai entendue dimanche, je voudrais être aussi riche que feu Paganini, je ferais mieux que vous écrire ; mais je ne puis que vous dire ce qu’il a prouvé à bien des imbéciles que vous êtes un grand musicien et un beau génie.
A vous de cœur et d’efforts quand je pourrai.
De Balzac, mercredi 16 décembre 1840.
Une amitié sans faille
En 1847, sachant Berlioz dans une situation financière compliquée, et sur le point de partir en tournée en Russie, Balzac ira jusqu’à lui prêter son manteau :
[Paris, 1er février 1847]
Mon cher Balzac, Vous avez eu l’obligeance de m’offrir votre pelisse, soyez assez bon pour me l’envoyer demain rue de Provence 41, j’en aurai soin et je vous la rapporterai fidèlement dans quatre mois. Celle sur laquelle je comptais me paraît beaucoup trop courte et je crains surtout le froid aux jambes. Mille amitiés. Votre tout dévoué Hector Berlioz. [2]
Berlioz raconte dans ses Mémoires que peu de temps avant son départ pour la Russie, il avait rencontré Balzac « au coin d’une rue, à onze heures du soir » [3]. Balzac lui aurait dit « très sérieusement » : « Vous en reviendrez avec cent cinquante mille francs […] je connais le pays vous ne pouvez pas en rapporter moins. »
Selon Berlioz, Balzac est un « grand esprit [qui] avait la faiblesse de voir partout des fortunes à faire, fortunes qu’il eût volontiers demander à un banquier de lui escompter tant il les croyait assurées. Il ne rêvait que de millions, et les innombrables déceptions qu’il a essuyées en ce genre toute sa vie n’ont pu le désabuser sur ce perpétuel mirage ».
Trois ans plus tard, le 12 juin 1850, Berlioz écrit à Balzac qui vient de se marier avec Mme Hanska. Il ignore alors que son ami est très affaibli, la santé de Balzac déclinant de jour en jour ; Balzac meurt le 18 août 1850 et Berlioz est présent dans le cortège funèbre le 21 août.
Christelle Bréion
Médiatrice au musée Balzac
[1] Hector Berlioz, Correspondance, éd. Julien. Tiersot, t.I, 1907, p.408.
[2] Gallica, Lettre de Berlioz à Balzac datée de février 1847 / d’après l’original conservé à l’Institut https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84157825.item
[3] Hector Berlioz, Mémoires, C. Lévy, 1878, t.II, pp.268-269.