Balzac n’a pas connu Beethoven (1770-1827). Cependant, il est bouleversé par l’audition de la Symphonie en ut mineur au Conservatoire de Paris, le 20 avril 1834. Il se confie à Mme Hanska quelques jours plus tard :
« […] j’ai entendu la Symphonie en ut mineur de Beethoven exécutée au Conservatoire. Ah que je vous ai regrettée. J’étais seul dans une stalle ! […] . »
Hector Berlioz, également présent ce soir-là, rédige un compte rendu de cette soirée pour la Gazette musicale de Paris du 27 avril 1834 et témoigne de l’émotion du public :
« […] C’est par la symphonie en ut mineur, le chef-d’œuvre de Beethoven peut-être que le Conservatoire nous a fait ses adieux dimanche dernier. Analyser une telle création, suivre pas à pas cette pensée géante, est au-dessus de nos forces. […] L’auditoire, dans un moment de vertige, a couvert l’orchestre de ses cris : c’étaient des exclamations furieuses, mêlées de larmes et d’éclats de rire… Un spasme nerveux agitait toute la salle […] ».
Une longue maturation du roman César Birotteau
C’est précisément dans cette période que Balzac entame la rédaction de César Birotteau où il rendra un bel hommage à Beethoven, en évoquant en particulier le final de cette symphonie :
Quand, après les lentes préparations du sublime magicien si bien compris par Habeneck, un geste du chef d’orchestre enthousiaste lève la riche toile de cette décoration, en appelant de son archet l’éblouissant motif vers lequel toutes les puissances musicales ont convergé, les poètes dont le cœur palpite alors comprendront que le bal de Birotteau produisait dans sa vie l’effet que produit sur leurs âmes ce fécond motif, auquel la symphonie en ut doit peut-être sa suprématie sur ses brillantes sœurs.
À l’automne 1837, Balzac retravaille César Birotteau, encore inachevé. Il écrit à François-Antoine Habeneck, le chef d’orchestre du Conservatoire, afin d’obtenir une loge pour la prochaine représentation de la Symphonie en ut mineur :
Monsieur,
Dans une vie artiste, l’oubli est bien concevable : ne m’en voulez pas de vous demander si vous avez pensé à la stalle que vous aviez eu la complaisance [de] retenir pour moi, au Conservatoire. Agréez, en tous cas, mes remerciements les plus distingués et l’expression de ma sympathie sincère. Votre dévoué de Balzac.
I, rue Cassini. [1]
De nouveau, Balzac est alors bouleversé par cette audition, ainsi qu’il l’écrit à Mme Hanska :
« […] Hier, je suis allé entendre la Symphonie en ut mineur de Beethoven. Beethoven est le seul homme qui me fasse connaître la jalousie. […] Il y a dans cet homme une puissance divine. […] Non, l’esprit de l’écrivain ne donne pas de pareilles jouissances, parce que ce que nous peignons est fini, déterminé, et ce que vous jette Beethoven est infini. […] »
Son ressenti trouve aussi un écho dans la nouvelle qu’il intitule Gambara et qu’il publie sous forme de feuilleton dans la Gazette musicale, cette même année 1837 :
– La musique existe indépendamment de l’exécution, dit le chef d’orchestre qui malgré sa surdité avait saisi quelques mots de la discussion. En ouvrant la symphonie en ut mineur de Beethoven, un homme de musique est bientôt transporté dans le monde de la Fantaisie sur les ailes d’or du thème en sol naturel, répété en mi par les cors. Il voit toute une nature tour à tour éclairée par d’éblouissantes gerbes de lumières, assombrie par des nuages de mélancolie, égayée par des chants divins. […]
– Beethoven, reprit le comte, a reculé les bornes de la musique instrumentale, et personne ne l’a suivi dans sa route.
Ursule Mirouët et « Bête à vent »
De manière plus humoristique, Balzac met en scène la jeune Ursule Mirouët, dans le roman éponyme (1842), interprétant au piano la symphonie en La de Beethoven, devant un auditoire totalement insensible :
Donc, mesdames Massin et Crémière, leurs maris, le maître de poste et Désiré formaient avec le médecin de Nemours et Bongrand une assemblée inaccoutumée et turbulente chez le docteur. L’abbé Chaperon entendit en entrant les sons du piano. La pauvre Ursule achevait la symphonie en La de Beethoven. Avec la ruse permise à l’innocence, l’enfant, que son parrain avait éclairée et à qui les héritiers déplaisaient, choisit cette musique grandiose et qui doit être étudiée pour être comprise, afin de dégoûter ces femmes de leur envie. Plus la musique est belle, moins les ignorants la goûtent.
– Elle dit que c’est de Bethovan, qui passe cependant pour un grand musicien, dit le receveur, il a de la réputation.
– Ma foi, ce ne sera pas à Nemours, reprit madame Crémière, et il est bien nommé Bête à vent.
Christelle Bréion
Médiatrice au musée Balzac
[1] Lettre d'Honoré de Balzac à François-Antoine Habeneck, [Paris], 24 octobre [1837].
Photographie d'en-tête : détail d'un manuscrit autographe de Ludwig van Beethoven (Esquisses pour la Symphonie no5 op. 67 (3e et 4e mouvements) et la Sonate pour violonelle et piano op. 60 (1er mouvement)). Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France.